François SENECHAL

PHOTOGRAPHIES

Entretien avec Clio RATERRON

Clio Raterron est étudiante en art contemporain. Dans le cadre de son mémoire "La photographie du banal - Entre Esthétique et Objectivité", elle m’a demandé cet entretien. Il est souvent plus facile de répondre aux questions que de parler d’emblée de soi-même.

François SENECHAL : Bonjour Clio. Je dis dans ma présentation : « une œuvre ne vit que par le regard de celui qui la voit, et l’émotion qu’elle suscite ». Je te remercie de faire vivre mes œuvres. Avant de répondre à tes questions, je ne peux pas m’empêcher d’avoir à l’esprit une phrase de Robert Doisneau : « Si tu fais des images, ne parle pas, n’écris pas, ne t’analyse pas, ne réponds à aucune question ». Je m’y retrouve totalement. Mais comme Doisneau était quand même un sacré bavard, et par amitié, je me permets de suivre sa trace …

Clio RATERRON : Est-ce que vous dites que vous êtes artiste ? Si oui, quelle représentation cela engage selon vous ? Si non, en quoi ne seriez vous pas artiste à leurs yeux ?

FS : Je n’ai jamais voulu être artiste. Petit, je voulais être garde forestier. Je suis toujours épaté par des gens qui proclament par exemple « quand je serai à la retraite, je serai artiste », ou par ceux qui mettent sur leur carte de visite « artiste peintre » : un simple nom au dos d’une reproduction de tableau laisse à penser que tu n’es pas dentiste.

C R : Quels ont été vos motivations qui ont conduit à être artiste ?

FS : Gamin, j’entendais dire « il est hypersensible ». A 12 ans, j’écumais, seul, les galeries de peinture parisiennes. Mon père m’avait expliqué ce que voulait dire l’inscription « entrée libre » sur les portes. Plus tard, je voulais m’exprimer comme Eric Dolphy.

C R : Vous sentez-vous investi, en tant qu’artiste, d’une mission, d’une responsabilité ?

FS : Comme dit la chanson « si tu n’en veux pas… ». Aucune mission. Je propose à voir, c’est tout ; si l’émotion passe, tant mieux. Mais aussi à partir d’une certaine photo, en 1995, je me suis dit : « tu ne peux pas la garder pour toi » ; donc une certaine responsabilité vis à vis de l’œuvre créée, qui ne m’appartient plus complètement.

C R : Artiste, est-ce un métier, une profession ?

FS : Vincent a vendu une toile à Théo.

C R : Etes-vous un artiste engagé ?

FS : Je suis un homme engagé.

C R : Pensez-vous faire cette activité toute votre vie, ou avez-vous pensé à vous reconvertir ?

FS : Quand on transpire ce genre de chose, il y a de fortes probabilités que ce soit jusqu’à la mort.

C R : Qu’avez-vous à répondre à ceux qui disent que l’art ne sert à rien ? Que l’art contemporain, c’est n’importe quoi ?

FS : L’art me rend immensément heureux et immensément malheureux. Je rencontre des gens insensibles à l’art ; je les envie et je les plains. Gesualdo et Monteverdi faisaient « n’importe quoi » à leur époque. A notre époque, il y a aussi beaucoup de n’importe quoi.

C R : Pensez-vous que vos œuvres ont une répercussion sur la société ?

FS : Plusieurs personnes m’ont dit, en sortant des mes expositions, qu’elles regarderaient le monde différemment. Les petits ruisseaux font les grandes montagnes.

C R : Quel rapport construisez-vous, dans votre travail, entre l’art et la vie ?

FS : L’œil constamment aux aguets, sensible aux couleurs, aux formes, volumes, contrastes, je vis dans une œuvre d’art. Par moment, j’en emprunte une pépite.

C R : Est-ce que la vie quotidienne peut être le lieu de l’art ?

FS : Art de vivre, arts de la table…, pratiques quotidiennes à utiliser sans modération ! Ce que je montre à voir vient souvent de zones délaissées, marquées par le temps ou l’urgence d’un chantier, d’une porte mal fermée, d’un fond d’évier pas lavé… Je recycle des ordures, je montre la beauté des laids, la banalité devient exception, l’ordinaire devient du jamais vu ; manière de voir. Le quotidien est le lieu de l’art.

C R : Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la photographie ?

FS : Je me souviens de mon premier Kodack 4x4 à visée ventrale, pellicule VP 127… Je n’étais pas bien grand ! Et tout de suite l’organisation de l’image m’a été incontournable.

C R : Comment décidez-vous que quelque chose mérite d’être photographiée ?

FS : Si je suis en état de réceptivité, la « chose » en question m’appelle et s’impose à moi.

C R : A quoi pensez-vous, lorsque vous cadrez une photo ?

FS : J’ai déjà cadré, « à l’œil nu », la photo que je voulais faire. Le reste n’est que du service technique. J’espère simplement que, à ce moment là, la technique ne va pas me trahir.

C R : Que cherchez-vous à susciter chez le spectateur ?

FS : Je ne cherche rien. Il se trouve que ce qui m’a ému suscite, parfois, une émotion à celui qui voit ce que je montre. C’est simple et mystérieux à la fois.

C R : Où trouvez-vous votre inspiration ?

FS : N’importe où. Sur le pas de ma porte, ou à des milliers de kilomètres, tout peut m’arriver, si je peux le recevoir. Cela dit, mon œil photographique est souvent plus aux aguets dans les zones périurbaines que dans la verte campagne. Chacun trouve une résonance entre une image et soi-même. Il se trouve qu’il y a parfois des convergences.

C R : Numérique ou argentique ?

FS : Numérique depuis 2005.

C R : Y a-t-il des photographes qui vous ont inspiré ?

FS : Tout ce qu’on voit et nous touche nous inspire. Peintres, photographes, architectes, musiques ou paysages. On n’invente rien ex nihilo. On ne ressort que ce qu’on a ingurgité, agrémenté de nos propres sécrétions. Je ne fais pas de distinction entre les cinéastes, photographes ou peintres qui ont formé ce terreau de culture d’où pousse ce qui sort de moi. Fritz Lang, Orson Welles, Godard, Grémillon, Giacometti, Tiépolo, Le Bernin, Brassaï, Nicolas de Staël, Poliakov, Viera da Silva…

CR : Etes-vous autodidacte, ou avez-vous suivi un enseignement artistique, école d’art, fac ?

FS : Je suis passé par l’Ecole Nationale de Photographie (Louis Lumière), dite à l’époque « Ecole de Vaugirard ». Je le mentionne sur mon curriculum vitae ; cela fait sérieux ! Mais je sais, moi, que l’essentiel de ma formation vient de la fréquentation des cinémathèques ou des musées.

CR : Peut-on parler de « carrière artistique » ? Considérez-vous que vous en avez une ?

FS : La réponse est dans ce que j’ai dit plus haut. L’expression « carrière artistique » me semble une obscénité.

CR : Quelles étapes de votre parcours ont été déterminantes ?

FS : Le hasard et la nécessité ont fait des étapes de ma vie. Musicien, manutentionnaire, acteur, chauffeur-livreur, clown, dresseur de colombes…

CR : Appartenez-vous à un mouvement artistique, une mouvance ?

FS : A 16 ans, j’ai créé le mouvement « Lavabo » (deux membres), entre dadaïsme et pataphysique. L’échec de cette initiative était prévu.

CR : Quels conseils donneriez-vous à une photographe débutante ?

FS : Les conseils sont souvent donnés pour le pur plaisir de celui qui les donne. Ecoute-les, sollicite-les, réfléchis à leur pertinence, et finalement n’en fais qu’à ta tête. Toi seule sais ce que tu dois faire ou non. Si tu fais une photo qui te plait, qui vient de toi, et qu’elle ne trouve pas forcément l’approbation, résiste, c’est toi qui a raison. Sois exigeante, plus que n’importe quel critique patenté, sur la qualité technique de ce que tu proposes. Cherche à ce que chaque photo que tu montres ait son caractère, sa spécificité, qui fait que, même proche, ta photo d’à coté est différente. N’expose que ce que tu aimes profondément. Garde les autres, plus tard, elles peuvent se révéler : tu les revois d’un autre œil à la faveur de ce que tu viens de faire, elles trouveront leur sens lors d’un accrochage. Et surtout, sois authentique. Quand tu regardes une de tes photos, que tu puisses te dire, voilà c’est une partie de moi. Ouvre les yeux, regarde, imprègne-toi de tout, sois toi-même plaque sensible, même si tu n’as pas l’appareil entre tes mains.

Bon courage pour ton mémoire et tout ce que tu vas entreprendre. Tiens-moi au courant !

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